Né en 1613 à Paris, André Le Nôtre était fils et petit-fils de jardiniers du roi, installés au jardin des Tuileries. Autant dire qu’il n’est pas tombé par hasard dans la profession ni dans le service du roi… Il compléta ce bon début par des cours de dessin auprès du peintre Simon Vouet, l’un des représentants les plus recherchés alors de la « nouvelle » peinture, qui, après les sophistications du maniérisme finissant, ouvrait la voie au classicisme. Cette sensibilisation aux beaux-arts, qui n’allait pas de soi pour un jardinier, explique certainement que Le Nôtre ait rassemblé une collection d’œuvres d’art, tableaux, sculptures, estampes, médailles, qui faisait référence à l’époque au point que les guides imprimés qui énuméraient ce qu’il fallait voir à Paris en recommandaient la visite… On y voyait des œuvres de peintres italiens et nordiques, mais aussi de Nicolas Poussin ou Claude Lorrain, tous étant caractérisés par une place importante donnée au paysage.
André Le Nôtre, jardinier des rois
C’est donc muni de ce riche bagage que Le Nôtre se lança dans la profession de jardinier, travaillant à partir de 1635 pour le frère de Louis XIII, Gaston d’Orléans. Plus tard, c’est pour Nicolas Fouquet qu’il travailla à Vaux-le-Vicomte. Les documents manquent, mais il est certain que personne d’autre que lui n’a pu imaginer l’extraordinaire vue traversante du château, qui relie visuellement le visiteur entrant dans la cour d’honneur à la statue d’Hercule ponctuant l’extrémité de la perspective des jardins…
Lorsqu’il entre au service de Louis XIV, André Le Nôtre est donc un jardinier confirmé et célèbre. Le roi l’honore bientôt de son amitié, en raison de ses compétences, de sa droiture et de leurs goûts partagés pour les jardins et l’art. Anobli en 1675, Le Nôtre choisira modestement d’orner son blason…de trois limaçons !
C’est à partir de 1661, que Le Nôtre donne des plans pour différents jardins royaux : d’abord pour Fontainebleau où il aménage le parterre du Tibre, pour Compiègne, Vincennes, Saint-Germain-en-Laye, Chambord… A Paris, l’une de ses brillantes réalisations est certainement la perspective du jardin des Tuileries, qui se poursuit par celle des Champs-Elysées, inaugurant un véritable axe d’urbanisme, aujourd’hui prolongé jusqu’à La Défense !
Les jardins à la française du château de Versailles
C’est dire si Le Nôtre envisage l’art des jardins de façon grandiose et à l’échelle d’un espace beaucoup plus vaste que les simples abords d’une demeure. De ce point de vue, le parc de Versailles reste le plus spectaculaire exemple de ce qu’on appelle désormais un jardin à la française : son étendue initiale était de quelques 8 000 hectares, territoire de chasse pour le roi, englobant des villages et des terres agricoles. Exploitant cet espace immense, les innombrables perspectives, qui s’étendent au-delà des limites du parc actuel, permettent au promeneur d’appréhender une telle étendue et de se l’approprier, tel le roi dominant ses territoires. Pour y parvenir, Le Nôtre a fait un usage constant de lois optiques, comme l’ont montré des recherches récentes : ses perspectives sont construites en fonction du point de vue du spectateur, pour corriger les déformations dues à l’éloignement, mais aussi lui réserver des surprises. Ce faisant, Le Nôtre s’est montré un représentant hors pair de l’esprit du XVIIe siècle : il a eu à cœur de manifester la domination de l’homme sur la nature, au rebours du romantisme qui caractérisera le Siècle des Lumières et les jardins à l’anglaise.
Un autre aspect remarquable des jardins de Versailles conçus par Le Nôtre, c’est que, de façon tout à fait exceptionnelle, ils ont été pensés autour d’un thème, le thème solaire, symbole du roi. C’est ainsi que la grande perspective de Versailles, matérialisée dans les jardins par le Tapis vert et l’axe principal du Grand Canal, est orientée d’est en ouest, pour évoquer la course de cet astre. Jalonnée de bassins consacrés à Apollon, le dieu du soleil, elle forme également l’axe de symétrie autour duquel s’ordonnent les bosquets du jardin royal, agréables salons de verdure invisibles depuis les allées. A l’opposé, cet axe se poursuit dans la ville qu’il sépare également en deux quartiers symétriques…
Ce goût pour les perspectives et la symétrie a suscité des critiques, notamment au XVIIIe siècle : on a prétendu par exemple que les longues perspectives d’un jardin à la française étaient ennuyeuses et que l’art de Le Nôtre était froid. Rien de moins vrai pourtant. Le promeneur qui s’engage dans un jardin conçu par l’illustre jardinier rencontre des surprises à tout instant : les lignes droites du tracé lui offrent de nouveaux panoramas à chaque intersection, tandis que la déclivité du terrain a été exploitée de façon théâtrale par Le Nôtre. A Versailles ainsi, s’acheminant depuis le pied de la façade du château, le visiteur découvre soudainement le bassin de Latone au bout de la terrasse du parterre d’eau, et son émerveillement est tangible aujourd’hui encore, comme en témoigne le nombre de photographes qui se massent devant ce superbe point de vue. Soucieux de surprendre le promeneur, Le Nôtre a également recouru à des allées sinueuses pour le mener à l’improviste à l’entrée de l’un des bosquets des jardins : charmé, le visiteur découvre dans chacun d’eux un décor différent, des jeux d’eau variés et des sculptures réalisées par les plus grands artistes de l’époque de Louis XIV. De ce point de vue, Le Nôtre est un artiste qui a su réunir dans ses œuvres les deux grandes tendances du goût du XVIIe siècle, baroque et classicisme, moins opposées qu’on ne croit…
C’est dans cet esprit que le jardinier de Louis XIV a travaillé également pour d’autres princes et souverains : aidé d’une équipe performante et doué d’une capacité de travail surprenante, Le Nôtre a réalisé des jardins à Chantilly pour le Grand Condé, à Sceaux pour Colbert, mais aussi en Italie du Nord pour les princes de Savoie, à Greenwich pour Charles II d’Angleterre, à Windsor et Het Loo aux Pays-Bas pour Guillaume III d’Orange, à Charlottenbourg et Postdam en Allemagne… Agé de 87 ans, il s’est éteint en 1700, auréolé d’une notoriété universelle, qui est l’une des facettes du rayonnement de la France sous Louis XIV…